Joris Iven |
SOLILOQUE
J’ai aujourd’hui tant de raisons pour que tu me manques, ma sœur. Je pourrais t’accuser, or je ne le fais point parce que je sais quelle voie j’ai suivi moi-même et combien les limites m’ont attiré. C’était un jour de février, comme aujourd’hui. Il faisait frais, du brouillard était suspendu. J’entrai dans la chambre et tu étais couchée sur le banc. Ton visage était froid, tes bras gisaient à côté de toi. Ceci aurait pu arriver chaque jour. Tous les soirs nous avions peur de la nuit, tous les matins nous craignions le jour. Tout a son époque, comme tu le savais. Les feuilles tombent lorsque vient leur époque de tomber. Or toi tu as anticipé ton époque. Tu as violé les lois de la nature,, et ce qui est plus grave, l’accord tacite que nous avions. Nous résisterions ensemble, quelque obscurs et sinueux que fussent les voies que nous empruntions. Nous nous sauverions mutuellement à tout moment, or je n’ai pas pu te retenir. Chaque fois que quelqu’un te quittait, tu voulais quitter le monde entier. Ainsi que père voulait un jour jeter ta poupée par la fenêtre, ainsi tu te jetas hors de la vie. J’aurais pu tout te pardonner, mais point cet acte parce qu’il est tellement irrévocable. Tu me manques. Ton visage me manque, tes bras, tes cartes d’anniversaire. Et je t’accuse aujourd’hui, parce que tu nous quittas comme personne ne t’a jamais quittée.
Traduction : Bernard de Coen
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